2011
Camille a 13 ans
Camille se passait de l’eau sur le visage, tâchant de se réveiller. Ses paupières étaient lourdes, sa nuque contractée, et il avait manqué de s’endormir à plusieurs reprises. Mais il avait une tâche à respecter. Un ordre auquel obéir. Son maître l’avait sommé de lui apporter une omelette, et l’esclave s’était donc empressé d’enfiler son uniforme, avant d’accourir en cuisine. Qu’importe qu’il soit plus de 4h du matin, une nouvelle fois. C’était le deuxième ordre qu’il lui avait donné, depuis qu’il était devenu son esclave, quelques semaines plus tôt. A son arrivée, l’adolescent l’avait tout simplement ignoré, faisant comme s’il n’existait pas. Il ne le regardait pas. Il ne lui adressait pas un mot. Alors Camille avait fait le mort. Parce que c’était apparemment ce que son maître attendait de lui, et que son rôle était de répondre à chacun de ses désirs. C’était probablement un test. Peut-être. Il n’en savait rien. En soit, cela n’importait pas vraiment. Si la directrice du caveau leur avait appris, à lui et aux autres « propriétés », qu’ils pouvaient être testés une fois arrivés chez leur propriétaire, Camille savait simplement qu’il n’avait rien à faire d’autre qu’attendre. Ce n’était pas comme s’il avait l’autorisation de le regarder, ou de lui parler. Mais la veille, cela avait changé. Son maître s’était apparemment rappelé de son existence, et lui avait donné son premier ordre. Une omelette. A 4h du matin. Aujourd’hui, le même schéma avait eu lieu. Même heure, même demande. Très bien. Si c’était ce qu’il voulait, alors il l’obtiendrait. Alors même s’il avait toutes les difficultés du monde à rester éveillé et à se concentrer sur l’omelette qui cuisait, ce n’était pas important. Ce qui importait, c’était de répondre à ses désirs, et de surtout ne jamais le décevoir. Parce que c’était ainsi qu’il avait été éduqué. Après quelques minutes, il servit l’omelette dans une assiette, s’efforçant à y mettre les formes – il était quelqu'un d'important, après tout, il se devait de le servir avec une bonne présentation, non ? – avant de monter les marches du majestueux escalier, deux à deux. Il tapa doucement à la porte, attendant l’autorisation d’entrer dans la chambre.
« Maître, voici votre omelette. » dit-il poliment une fois obtenue, la tête baissée – ne pas le regarder sauf à y être invité, c’était l’une des règles les plus primordiale.
« Une omelette ? Ce n’est pas ce que j’ai demandé. Je veux des œufs brouillés, tu es capable de faire la différence ? » Des œufs brouillés ? Il avait voulu des œufs brouillés ? Son cœur commença à tambouriner dans sa poitrine, comme il tentait de se refaire la scène dans sa tête. Non, une omelette. Il avait bien demandé une omelette. Ou alors avait-il confondu avec la veille ? Il déglutit lentement, gardant la tête baissée. Il sursauta presque, comme l’assiette tombait, se brisant au sol.
« Qu’est-ce que tu attends ? Nettoie et fais ce qu’on t’a demandé. » Dans la seconde, il hocha vivement de la tête, avant de s’agenouiller au sol pour ramasser les morceaux.
« Je suis désolé Maître. Je m’y atèle immédiatement. » s’excusa-t-il, ses mains tremblants légèrement, comme il nettoyait le sol du mieux qu’il le pouvait – sans éponge ni de quoi ramasser, cela s’avérait être plus compliqué, finalement.
« Et fais vite. Avant que l’envie ne me prenne de te faire ramasser avec ta langue. » lui répondit-il, le faisant opiner du chef rapidement à nouveau.
« Oui, Maître. » Il termina de ramasser les morceaux de porcelaine, gardant le tout en main, avant de faire une brève révérence en partant, d’un pas mesurément lent. Puis il déboula dans les escaliers à toute vitesse, reprenant la direction des cuisines. Après avoir jeté les « déchets » – dommage qu’ils se soient mélangés aux morceaux de porcelaine, il ne se serait pas fait prier pour les manger, sinon – il se lava les mains, avant de s’atteler à lui préparer des œufs brouillés. Merde, il le voulait comment ? Mousseux ou bien cuits ? Il déglutit, se passant une main nerveuse dans les cheveux, avant d’expirer longuement. Il ferait entre les deux, ce n’était pas comme s’il pouvait se permettre d’aller le déranger pour lui demander d’expliciter son ordre. Après quelques minutes, il retourna aux appartements de l’adolescent, l’assiette dans une main, une éponge dans l’autre.
« Vos œufs brouillés, Maître. » annonça-t-il après qu’il l’ait invité à rentrer, avant de les lui servir. Puis il s’agenouilla de nouveau, et entreprit de nettoyer le sol à l’endroit où l’assiette était tombée. Il s’appliqua, bien entendu, à ce qu’il n’y ait plus aucune trace sur le sol. Il sursauta, écarquillant des yeux, comme l’assiette tombait au sol alors qu’il venait tout juste de terminer de tout nettoyer. Il releva brièvement le visage, cherchant à comprendre ce qu’il s’était passé. N’avait-il pas aimé.
« Ca t’a pris trop de temps. Je n’ai plus faim. » Une lueur de tristesse traversa ses yeux verrons, comme il rebaissait la tête, les épaules basses. C’était probablement un test. Juste un test. Comme ceux que la directrice leur avait fait, quelques fois.
« Désolé, Maître. Je mettrai moins de temps, la prochaine fois. » répondit-il alors, avant de de se remettre à la tâche. Ce n’était pas vraiment comme s’il avait le choix, et tous les deux le savaient parfaitement. S’il n’obéissait pas, il finirait à la rue, mourant probablement de froid sous les ponts. Il était un paria de la société, une abomination, comme on le lui avait si souvent dit, lorsqu’il était la propriété du caveau n°3. Il méritait sûrement que son Maître le traite ainsi.
« Je pense avoir fini, Maître. Avez-vous besoin de moi pour autre chose ? » demanda-t-il en restant tout de même agenouillé au sol, des fois que le jeune homme ne considère pas le sol assez brillant à son goût – ce n’était pas à l’esclave de décider quand il avait rempli sa tâche, après tout.
« Non. Tu peux t’en aller. » répliqua-t-il, sans une once d’émotion dans la voix. Camille acquiesça de la tête, se relavant, les « déchets » dans ses mains.
« Très bien, Maître. » De la même façon que précédemment, il se dirigea vers la porte, avant de lui faire une révérence, plus lente cette fois-ci. Ouvrant la porte, il se stoppa cependant, hésitant.
« Bonne nuit, Maître. » murmura-t-il, même s’il ne fut pas certain que le brun ne l’ait entendu. Puis il repartit, sans demander son reste. Il fit un rapide détour dans la cuisine pour jeter les détritus, avant de regagner sa minuscule chambre. Là, enfin, il s’allongea, ne prenant même pas la peine de se déshabiller. Puis il regagna bien rapidement les bras de Morphée, se demandant si l’indifférence des premières semaines n’était pas mieux, finalement.
2013
Camille a 15 ans
Plus d’un an que Camille était au service de la famille du Premier Ministre, et plus précisément au service personnel de Theodore. Il fallait bien avouer que, depuis qu’il avait passé tous les tests possibles et imaginables de son maître, la situation était calmée. Il ne le sommait plus de répondre au moindre de ses caprices à n’importe quelle heure de la nuit. Non pas que cela ne le dérangeait, bien entendu. Il était à son service, alors il pouvait bien lui demander ce qu’il voulait, que Camille satisferait ses désirs. Mais, et chose qu’il n’aurait pas vraiment cru possible auparavant, il commençait à apprécier être à son service. Il se souvenait lorsque la directrice les mettait en garde sur les mauvais traitements que les esclaves pourraient subir de la part de leur propriétaire. Après tout, ils étaient à leur disposition, et s’ils se faisaient corriger, c’était qu’ils le méritaient. Camille, quant à lui, n’avait rien vécu de tout cela. Peut-être était-ce dû au fait que son maître avait son âge, à quelques mois près. Le jeune homme venait toujours juste d’avoir quinze ans, et ne semblait pas être d’un naturel violent. Peut-être méprisant, d’un premier abord. Enfin, méprisant, tout était une question de point de vue. Et lorsque l’on prenait le point de vue de Camille, il s’agissait simplement de hiérarchie. Lui n’était qu’une erreur de la nature, qui n’aurait pas dû venir au monde. Comment pourrait-il considérer son maître comme méprisant ?
« Allez, Camille ! » s’exclama-t-il, lui ramenant les pieds sur Terre. Il était chargé comme une mule, portant une dizaine de sacs de shopping, tous plus remplis les uns que les autres. A chaque essayage du jeune homme, il n’avait pas pu s’empêcher d’être subjugué par les magnifiques vêtements qu’il pouvait toucher. Jamais il n’aurait cru voir pareilles beautés. Autant dire qu’il remerciait encore le Ciel de la chance qu’il avait.
« Si tu tiens le coup, je te payerai un café ! » Un sourire étira ses lèvres, même s’il tenta de le cacher, comme sa tête restait baissée. Il n’avait normalement pas le droit de réagir, mais c’était parfois plus fort que lui, comme en cet instant. Il leva la tête brièvement, pour le remercier de sa gratitude, mais fronça des sourcils en le voyant reculer dangereusement. Il n’eut pas vraiment le temps de réfléchir, comme il voyait une voiture s’approcher à toute allure dans sa direction.
« Theo watch out ! » s’écria-t-il, lâchant les sacs au sol pour l’attraper par le bras et le ramener à lui, contre lui, plutôt violemment. Il déglutit lentement, se giflant mentalement de cette familiarité.
« Maître Theodore. » se corrigea-t-il, déglutissant lentement.
« Vous allez bien ? » lui demanda-t-il d’une petite voix, sans le lâcher, gêné, espérant qu’il ne lui tiendrait pas rigueur de sa spontanéité. Il eut à peine le temps de balbutier un
« Je… » qu’il se sentit tiré en arrière, brutalement.
« Ne le touche pas ! » ordonna le garde du corps, qui s’était apparemment réveillé.
« Est-ce que vous allez bien ? » L’esclave baissa immédiatement les yeux, pris en faute, même s’il devait bien avouer que, pour la première fois depuis qu’il était la propriété du jeune homme, il ressentait un petit sentiment d’injustice. Parce que la voiture lui fonçait dessus. Parce qu’il ne savait pas ce qu’il aurait dû faire d’autre que cela. Parce que, certes, ce n’était pas son rôle à lui, qui n’était qu’un pauvre esclave, bien loin du statut de garde du corps. Mais ce n’était pas une raison pour laisser cette voiture lui rentrer dedans.
« Comment est-ce que tu m’as appelé ? » Camille, la tête toujours baissée, tentait presque de s’enfoncer dans le sol, en cet instant. Il avait dépassé les limites, et il réalisait à présent l’ampleur de ses actes. Il s’était montré familier envers son maître. Il s’était montré familier, et surtout irrespectueux.
« Je … Je ... » balbultia-t-il, comme les larmes lui montaient aux yeux. Il allait le renvoyer. Il avait fauté, alors il le renverrait. Et il finirait sous les ponts, avant de probablement mourir de froid, ou de faim, au choix.
« Je suis désolé, Maître. » Ses lèvres tremblaient, ses mains tout autant. Si le jeune homme l’avait autorisé à se montrer un peu moins formel, à l’appeler
Maître Theodore, en cet instant, il trouvait cette formulation encore trop familière.
« J’ai vu la voiture foncer dans votre direction et je n’ai pas réfléchi. Je suis désolé, Maître. » continua-t-il, la tête toujours basse.
“ Maître Theodore, pas maître...” lui répondit-il, lui faisant froncer des sourcils. C’était tout ? Il lui avait manqué sévèrement de respect, pourtant. Il s’était permis une familiarité qui lui aurait valu une correction. Les règles à suivre étaient pourtant simples, et lorsqu’une règle n’était pas respectée, une punition était préconisée. C’était ainsi qu’il avait été éduqué au caveau, en tout cas. Non pas qu’il ait beaucoup été réprimandé, cependant. Il avait très rapidement compris ce qu’il n’avait pas le droit de faire, et avait été suffisamment intelligent pour ne jamais tenter de se rebeller.
“La prochaine fois, fais ton travail correctement, ça évitera qu’un simple esclave doive s’en charger. Mais peut-être que je devrais lui donner ton job ? Il a l’air meilleur que toi pour ça.” De nouveau, il fronça des sourcils, avant de presser doucement des paupières, se demandant s’il n’était pas en train de rêver. Enfin, certes, le garde du corps aurait dû le protéger. C’était son rôle, à
lui. Mais réprimander un garde du corps pour défendre un être tel que lui ? Ce n’était pas une des conséquences qu’il avait pu imaginer, c’était certain.
”Porte les sacs.” Il fit un pas en arrière, dans l’intention de ramasser les sacs, pensant que son maître avait la clémence de passer à autre chose. Mais l’ordre n’était, apparemment, pas destiné à lui, puisqu’il reprit.
”Maintenant. Sauf si tu veux que je raconte toute l’histoire à mon père.” Camille se mordilla doucement la lèvre inférieure, gêné. Il resta immobile, ne sachant pas ce qu’il devrait faire. Attendre la suite, probablement ? Oui, c’était encore ce qu’il y avait de mieux. Ce n’était pas comme s’il se permettrait de prendre une nouvelle initiative, après ce qu’il venait de se passer.
”Je veux rentrer.” lâcha-t-il, même si l’esclave ne sut pas vraiment à qui il s’adressait. Il sursauta, en sentant un doigt venir se poser sous son menton, levant un peu sa tête qu’il redressa. Son regard perdu se posa naturellement dans le sien, et ses dents virent mordiller sa lèvre une nouvelle fois.
”Merci, Cam’.” Un sourire éclaira son visage, sans son autorisation. Sourire qu’il tenta donc bien rapidement de cacher, comme il hocha de la tête brièvement. Mais, heureusement, il tournait déjà des talons, et reprenait la route.
« C’est normal, Maître Theodore. » répondit-il tout de même, pas vraiment certain de ce qu’il aurait dû répondre. Ce n’était pas comme s’il aurait pu le laisser mourir, encore moins devant lui, alors qu’il pouvait faire quelque chose pour l’éviter. Mais le sujet semblait apparemment clôt, et Camille se contenta donc le suivre, rebaissant la tête, dans ce silence perpétuel auquel il s’était à présent habitué.
2016
Camille a 18 ans
Camille s’immobilisa devant la porte permettant l’accès aux appartements du, hésitant. Sa main était à quelques centimètres de la porte, comme il avait commencé le geste pour y déposer quelques coups. Son maître l’avait appelé, et l’esclave en connaissait la raison. Il allait passer ses nerfs sur lui. Ce dont il avait besoin, ce n’était pas une omelette, ou une glace, ou qu’on lui coule un bain. Non, ce qu’il désirait, c’était le frapper. Que faire dans ce cas-là ? Il ne pouvait pas se défendre. Il devait simplement encaisser, en silence, et attendre qu’il ne soit lassé. Il avait toujours eu des périodes, non ? Les caprices tous plus absurdes les uns que les autres, à toute heure de la journée et de la nuit. La gentillesse, la complicité, la bienveillance, à la limite de l’amitié. Et maintenant la violence. Ce n’était qu’une période. Ce n’était qu’un test. Cela lui passerait. Non ? Son Maître était un jeune homme qui s’ennuyait, comme il devait rester au sein du manoir presque toute la journée. Il n’avait que peu d’amis, et suivre des cours par correspondance ne devait pas l’y aider. Normal qu’il s’occupe donc comme il le pouvait, non ? Et donc qu’il le teste, encore un peu plus à chaque fois. Et si c’était ce que son maître désirait … Sa main trembla, comme il tapota enfin à la porte pour annoncer son arrivée. Il ferait mieux de ne pas trop le faire attendre, ou la correction serait encore plus terrible, probablement. La première fois qu’il s’en était physiquement pris à lui, Camille n’avait pas compris. La veille encore, ils partageaient avec complicité. Ils riaient, aussi. Peut-être un peu trop ? L’esclave s’était demandé si cela n’avait pas été la raison de son soudain changement de comportement. Peut-être qu’il avait dépassé une limite. Peut-être qu’en le considérant, certes un peu naïvement, comme un ami, comme un proche, l’esclave avait outrepassé ses droits. Et lorsque son maître s’en était rendu compte, il avait décidé de le remettre à sa place. C’était, en tout cas, la seule explication qui avait un tant soit peu de sens à ses yeux. Il sursauta lorsqu’il lui ordonna de rentrer et s’exécuta, la tête basse.
« Maître. » le salua-t-il, les lèvres tremblant déjà, comme il faisait une révérence. Adieu toute forme de familiarité, cela faisait bien longtemps à présent qu’il était revenu à des manières plus respectueuses les unes que les autres.
« Camille. » le salua-t-il en retour, d’une voix froide et distante, à mille lieux de celle qu’il utilisait encore quelques semaines plus tôt. Si sa tête baissée l’empêcha de le voir quitter son lit, les pieds du jeune homme rentrèrent bientôt dans son champ de vision, et l’esclave déglutit lentement, sachant ce qu’il se passerait.
« Tu es en retard. » Non, il ne l’était pas. Tous les deux savaient qu’il ne l’était pas. Ils savaient, aussi bien que l’un que l’autre, que ce n’était qu’une excuse. Qu’une simple excuse, qui lui permettrait de justifier ce geste. Ce geste qu’il ne vit qu’à moitié, mais qu’il sentit violemment. Qu’il entendit sourdement, aussi, comme la main vint cogner sa joue en une claque sonore. Une grimace étira ses traits, comme il serrait la mâchoire pour faire taire cette douleur lancinante. Ou peut-être valait-il mieux se concentrer dessus. Se concentrer sur cette douleur physique, pour mieux ignorer celle plus sourde, plus vive, que lui procurait ce sentiment de trahison. C’était stupide, pourtant, et il le savait. Son maître pouvait le corriger autant qu’il le voulait. Il pouvait passer ses nerfs sur lui, si cela lui plaisait. Parce que Camille était à sa disposition, et que son rôle était de satisfaire ses désirs. Et, pourtant, il ne pouvait s’empêcher de ressentir cette douleur invisible, qui n’était située que dans sa tête, ou dans son coeur, qu’importe. Parce que, oui, son Maître lui manquait. Les moments qu’ils avaient pu passer ensemble, presque complices, lui manquaient. Parce que Camille n’avait jamais eu d’amis. Enfant, il ne sortait jamais de sa maison, ou alors quelque fois pour aider sa mère dans les champs. Au Caveau … Disons simplement que ce n’était pas l’endroit pour s’en faire, alors même qu’il savait qu’il ne reverrait probablement plus jamais les autres
propriétés. Mais avec Theodore, il y avait cru. Parce qu’il serait sa propriété, jusqu’à ce qu’il n’en veuille plus. Et qu’il aurait donc pu l’être pour le restant de ses jours, si c’était ce qu’il avait voulu. Alors, oui, naïvement, stupidement, il y avait cru. Et pire encore, comme s’il ne se sentait pas suffisamment idiot, il avait cru que le jeune homme l’appréciait aussi. Et voilà probablement la raison pour laquelle il le corrigeait. Pas pour un retard inexistant.
« Je suis désolé, Maître. » lui répondit-il, comme une larme vint sillonner sa joue, pour rejoindre ses lèvres toujours tremblantes.
« Cesse de pleurer. Tu m’agaces. » lui ordonna son Maître. Ses doigts virent essuyer prestement sa joue, réalisant par la même occasion qu’elle était donc humide. Il ne l’avait pas vraiment réalisé.
« Tu n’as pas à te plaindre, Camille. J’ai toujours été bon avec toi, pas vrai ? Et pourtant, voilà comment tu me remercies. » Il déglutit, blêmit, comme il réalisait qu’il se méprenait sur ses intentions. Jamais il ne se serait plaint du traitement qu’il lui faisait subir. Encore moins alors qu’il l’avait probablement mérité.
« Désormais, tu ne me quitteras plus d’une semelle. Tu dormiras dans ma chambre. Là. » L’esclave fronça des sourcils, ne comprenant pas vraiment son nouvel ordre. Sa chambre était attenante à la sienne, tout juste collée. Et vu les appartements majestueux du jeune homme, c’était comme s’il lui offrait une promotion, au lieu d’une punition. C’était à n’y rien comprendre. Mais, bien entendu, il opina du chef.
« Il ne me viendrait jamais à l’esprit de me plaindre, Maître. Vous avez toujours été bon avec moi, sauf lorsque je ne méritais pas votre bonté. » lui répondit-il, toujours blême, d’une voix qui se voulait maîtrisée mais qui, malheureusement et contre son gré, ne l’était pas vraiment.
« Maître. » rajouta-t-il presqu’aussitôt. S’il lui donnait beaucoup de Maître ? Très certainement. Mais c’était simplement pour lui prouver qu’il avait compris qu’il devait rester à sa place. Et qu’oser penser le considérer comme un ami, un proche, était une insulte à ses yeux. C’était logique, en même temps. Il n’était qu’un esclave de sang Impur, après tout. Les doigts du jeune homme vinrent relever son visage, le sommant de le regarder. Généralement, lorsque son Maître avait ce geste envers lui, c’était toujours positif. C’était presque amical, presque complice. Alors Camille se demanda naturellement si cela serait comme
avant. Mais il ne pouvait vraiment le savoir, encore moins après le coup que son Maître lui avait donné quelques instants plus tôt.
« Déshabille toi » Une lueur d’incompréhension traversa son regard, tant cet ordre lui semblait être … saugrenu. Mais il ne chercherait pas à comprendre. Parce que ce n’était pas ce qu’on lui demandait. Et puis, ce n’était pas plus capricieux que lui demander des oeufs en plein milieu de la nuit, non ?
« Pour dormir. Déshabille toi. » précisa-t-il tout de même, ayant probablement remarqué son trouble. Camille se mordilla brièvement la lèvre inférieure, gêné de n’avoir pas pu mieux garder sa réaction pour lui. Il hocha ensuite de la tête, avant de la rebaisser, comme le brun lui lâchait le menton.
« Puis-je prendre une douche, Maître ? » lui demanda-t-il l’autorisation, d’une petite voix. Il lui demanderait bien s’il pouvait également aller chercher quelques unes de ses affaires - enfin, son carnet, plutôt, qui ne quittait jamais son oreiller - mais n’osa pas. Cela serait probablement trop de requêtes, et l’esclave ne voulait pas que son Maître puisse croire qu’il ne lui était pas reconnaissant de la faveur qu’il lui faisait. Mais apparemment, même cette demande était de trop. Il ne l’aurait pas cru, surtout que c’était également pour son Maître qu’il le lui avait demandé - après tout, il allait dormir non loin de lui. Mais la gifle qui vint brusquement atteindre sa joue lui prouva qu’il s’était trompé. Une nouvelle fois, ce n’était pas tant la douleur physique, le problème. Mais plus le fait que, quelques instants plus tôt, il s’était dit que, peut-être, les choses redeviendraient comme
avant. Il serra la mâchoire, gardant le silence.
« Ca ne m’amuse pas de te frapper, tu sais ? Mais il faut bien que tu apprennes à faire ce qu’on te dit quand on te le dit… » lâcha-t-il dans un soupir, le faisant lentement déglutir. Il avait envie de lui dire que c’était toujours ce qu’il s’efforçait à faire. Et que lorsqu’il ne le faisait pas immédiatement, comme cela était le cas, c’était parce qu’il pensait bien faire. Mais il n’était qu’un idiot, voilà tout. Parce que ce qu’il pensait n’importait peu. Ce qu’il pensait n’avait aucune espèce d’importance. Et que si son Maître avait voulu qu’il prenne une douche avant de se déshabiller pour aller se coucher, il le lui aurait dit, tout simplement. Il était donc normal qu’il le corrige. Qu’il le remette à sa place. Il tressaillit en sentant sa main effleurer sa peau, cette fois-ci, ses doigts frais venant presqu’apaiser la chaleur de sa joue.
« Cam’... » souffla-t-il en cessant sa caresse. Son coeur manqua un battement à l’utilisation du surnom qu’il l’avait parfois affublé, et qu’il n’avait pas entendu depuis bien longtemps.
« J’aimerais juste que tu m’obéisses, sans poser de questions… » reprit-il, et sa respiration se coupa presque en percevant la déception dans sa voix. Il hocha vivement de la tête, et se mordilla presque brusquement la lèvre en les sentant commencer à trembler.
« Bien sûr, Maître. Je suis désolé, Maître. » souffla-t-il, honteux de son propre comportement. Se déshabiller pour aller se coucher. Très bien. Il expira longuement, bien que silencieusement, avant de retirer la cape de son uniforme, qu’il garda dans une main en attendant de savoir où la poser. Ses doigts tremblants virent attraper les pans de son tee-shirt, plutôt maladroitement à cause de l’encombrement due à sa cape, avant de le retirer complètement. Il se suréleva un peu pour retirer ses chaussures, avant de déboutonner son pantalon, et de s’en défaire complètement. Puis il attendit, maintenant simplement vêtu de son caleçon, son uniforme dans le bras. Hors de question pour lui de prendre une nouvelle initiative et de risquer de froisser le brun une nouvelle fois. Attendre qu’il le laisse disposer, ou qu’il lui dise d’aller se coucher, était finalement la meilleure des solutions. Il surprit alors son regard sur lui, et déglutit, gêné. Il se demanda pourquoi il le fixait ainsi. Avait-il une tâche quelconque ? Avait-il quelque chose qui n’allait pas ? Cependant, il ne fit aucune remarque, se contentant de baisser encore un peu plus la tête, si tant est que cela ne soit possible.
« Tu peux… » commença-t-il dans un murmure, d’une voix qui lui semblait être peu maitrisée.
« Tu peux aller prendre une douche, si tu reviens ici tout de suite après… » reprit-il ensuite, de cette même voix qui était si différente de celle à laquelle il l’avait habitué.
« Merci, Maître. » se contenta-t-il de lui répondre, avant de lui faire une révérence. Il rejoignit sa chambre, attenante aux appartements de son Maître, avant de déposer son uniforme sur le petit lit qui était le sien. Puis il regagna la salle de douche, toujours autant gêné par ce qu’il venait de se passer. Il monta sur la pointe de ses pieds pour tenter de s’observer dans le miroir, et fronça des sourcils. Il ne voyait pas ce qui pouvait clocher chez lui. Il ne voyait rien de différent. Pas de tâche, pas de saleté, rien. Dans un soupir, il rentra dans la petite cabine de douche, avant de laisser l’eau chaude détendre ses muscles. Il se lava rapidement, ne voulant pas que son Maître puisse croire qu’il lui désobéissait s’il mettait un peu trop de temps. Il s’enroula ensuite d’une serviette, avant de regagner sa chambre et d’enfiler un nouveau caleçon. Il faillit mettre son bas de pyjama, mais arrêta son geste à la dernière minute. Si le brun lui avait sommé de se déshabiller pour dormir, c’était qu’il ne devait rester qu’en caleçon. Non ? Il n’en savait rien. Il ne comprenait même pas sa nouvelle lubie. Mais cela n’importait pas. Rien n’importait. Rien d’autres que les ordres qu’il lui donnait, et qu’il devait respecter. Il regagna l’immense chambre de son Maître, silencieusement. Son regard se posa sur celui-ci, allongé sur son lit, qui semblait s’être endormi. Il se dirigea vers son lit, avant de se mordiller les lèvres en le voyant au-dessus des draps, à même le lit. Est-ce qu’il n’allait pas avoir froid, durant la nuit ? Mais il ne lui avait rien demandé. S’il avait souhaité qu’il fasse quelque chose, il le lui aurait dit. Ce n’était pas à lui de prendre des décisions. Il l’avait bien vu, quelques instants plus tôt. Il lâcha un petit soupir, se passant une main nerveuse dans les cheveux. Ses dents vinrent mordiller ses lèvres, comme il hésitait. Que risquait-il ? Rien. Enfin … Si. Peut-être qu’il risquait quelque chose. Encore plus après l’avoir tant déçu, un peu plus tôt. Mais justement, il l’avait énormément déçu. Alors il devait se rattraper, non ? Donc prendre soin de lui, veiller sur lui … C’était une bonne façon de le faire. Et puis, il semblait si paisible, ainsi endormi. Il ne le saurait pas. Alors, à pas de loup, il se rapprocha de lui, veillant bien être le plus silencieux possible. Sa main tremblante vint doucement se poser sur son épaule, et voyant qu’il ne bougeait pas d’un millimètre, il le suréleva délicatement, avant de le glisser précautionneusement sous les draps. Tout aussi prudemment, soigneusement, il le borda, veillant à ce qu’il soit confortablement installé. Puis il s’éloigna de lui, et regagna le lit qu’il lui avait assigné. Une fois allongé dedans, il s’autorisa enfin un soupir de soulagement, qui eut le mérite de calmer son coeur battant la chamade. Il n’avait rien remarqué. Il ne l’avait pas réveillé. Tout allait bien. Il allait pouvoir dormir, maintenant. Tout se passerait bien.